Cette série photographique qui traite de l'industrie Thiernoise passée et actuelle a une place particulière dans ma vie. Thiers, ma ville natale, est une ville aux multiples facettes. C'est dans cette ville que j'ai grandi et découvert le métier de coutelier par la fréquentation d'ateliers, grâce au métier de celui qui fut mon grand-père, cacheur puis ciselier.

 

Au-delà du sujet, il y a pour moi une importance première à réaliser un travail de mémoire et d'hommage. En effet, cet ensemble existe grâce au travail que j'ai réalisé en 1995 dans un atelier de famille. Ce lieu a été pour moi un lieu d'enfance chargé des odeurs du travail. Cet atelier dans son silence, après des années d'inactivité, a gardé toutes les traces de ces instants ressentis, sans que le temps vienne effacer les gestes ou la voix enregistrés à l'époque par l'enfant que j'étais. La mémoire de l'atelier s'est livrée à travers ces images comme un atelier d'artiste livre la présence de l'homme qui vit son œuvre.

 

J'ai rencontré des hommes et des femmes passionnés par leur travail et conscients de la fin d'une époque, celle du travail à domicile, dans un climat fraternel, avec une entraide sans failles et un courage sans mesure. Les lieux sont imprégnés de leur esprit inventif et d'une volonté hors du commun. Partout, j'ai retrouvé l'importance de dire la relation de l'homme avec son lieu de travail, le respect du vivant, le geste, le mystère, la lumière juste, authentique.

 

Passionné à la fois de violoncelle et de photographie, j'ai choisi la voie professionnelle de l'image. La recherche du son du violoncelle, son grain, sa voix, le phrasé de l'archet, induisent une approche de la lumière avec la même qualité. Libérées du réalisme immédiat, mes sensations visuelles éveillent en moi les mêmes sentiments que ceux provoqués par le frisson d'une note. Je pense à la musique de Schubert et de Mozart.

La qualité du tirage pour moi, est capitale. Son unité interne, sa douceur et sa transparence me permettent d'établir cette complicité intérieure de la lumière et du son.

 

Toutes ces images ont, de façon plus littérale, différents bruits, du silence d'un atelier vide au bruit assourdissant d'une forge. Ce qui domine, c'est le bruit du temps, l'ambiguïté du terme donne le " la " et la nature de l'acte photographique. Le temps intérieur qui est le matériau originel de ces images ne fait pas de bruit, c'est un temps indicible de découverte d'un au-delà du voir. La présence, révèle l'indicible force à décider un cadre et une lumière sur une surface : la photographie. La valeur intrinsèque d'une image, dans ses rapports de formes, sa distance, sa lumière, la grande nuance de gris, repose sur cette genèse impalpable et toujours renouvelée.

 

Plus je photographie et plus la photographie me conduit à évoquer plus qu'à dire, en éliminant tout superflu. Le cadre prend toute sa valeur et questionne sur la présence de ce qui est absent. De même que le bruit est matière première avant la mise en forme pour devenir musique, le temps devient, une fois coupé et structuré dans une image, un réel transfiguré, unique. Le bruit du temps évoque aussi André Breton "Je cherche l'or du temps". Le bruit et l'or ont pour moi la même couleur, chaque image a la couleur de l'or et la sonorité d'un bruit à la fois précieux et banal, secret et évident.

 

La vision est une chose étrange, quelque chose qui parle à tout le monde et qui pourtant, attentive au moindre détail, construit un regard singulier.

Trouver, dans le commun qui nous est donné à voir, le sensible qui habite à l'intérieur et qui reflète notre imaginaire ; c'est cela la vision.

 

Site du musée de la Coutellerie

 

 

 

Le bruit du temps

PHILIPPE    HERVOUET

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